En consacrant le concert de la
matinée du 25 août 2011, donné par les Wiener Philarmoniker sous la baguette de
Franz Welser-Möst, à l’œuvre de Schubert, Der
Tod und das Mädchen, dans son orchestration pour orchestre à cordes de
Gustav Mahler, puis à la Lyrische
Symphonie d’Alexander Zemlinsky, sur des textes de Rabindranath Tagore,
c’est une véritable offrande lyrique que
nous offrit l’orchestre et son chef.
Le quatuor de Schubert, Der Tod
und das Mädchen, D810, en ré mineur, date de mars 1824 et est composé ensemble
avec celui en la mineur, D804. L’appel du ré mineur et la référence au Lied de
1817, D531, dont il a repris le titre, le souvenir du Erlkönig, dans la même tonalité, lui imprime, dans l’œuvre de Schubert,
une nature funèbre. L’ouverture de cette pièce détermine le climat de l’œuvre.
La cellule initiale du premier mouvement, Allegro,
est directement issue du choral de la mort du lied éponyme, où elle accompagne
la terreur de la jeune fille. Ce signal fatidique n’est pas sans rappeler
Beethoven car ce motif implacable conduit tout le premier mouvement. Le
deuxième mouvement, Andante con moto,
est également nourri par le choral de la mort, grave, laissant de côté la jeune
fille éperdue. Le thème du Scherzo,
allegro molto, s’appuie pour s’élancer sur un rythme directement issu du
choral de la mort, du deuxième mouvement et du signal de la mort qui ouvre le
quatuor. Le retour au ré mineur souligne encore le côté macabre de ce troisième
mouvement. Le Finale, presto,
également en ré mineur, ne fait que continuer sur la lancée avec son rythme de
tarentelle qui combine le scherzo et la forme sonate dans une danse de
cauchemar échevelée par de brusques variations d’intensité.
Comment ne pas penser qu’une telle
antienne de la mort ne parlât particulièrement à Gustav Mahler, dont on trouve,
plus ou moins explicitement énoncée comme telle, une marche funèbre dans toutes
les œuvres. C’est durant ses années passées à Hambourg, entre 1891 et 1897, que
Gustav Mahler arrangea pour orchestre à corde ce quatuor de Schubert. Titrée
dans le programme du Festival « Mehr
als ein Gedankenexperiment », cette version de Mahler se trouve en
effet transposée pour un imposant orchestre à cordes, ce qui lui permet
d’exprimer tout le côté symphonique de la partition de Schubert, lui ajoutant
une certaine profondeur. C’est un hommage à son prédécesseur.
Hommage également de Zemlinsky, à
Mahler cette fois, que sa Lyrische
Symphonie sur sept textes du poète Indien Prix Nobel de littérature en
1913, Rabindranath Tagore. Zemlinsky avait entendu le poète lire certains de
ses textes à l’Université Caroline de Prague, le 21 juin 1921. La lecture en
ayant été donnée par Tagore en bengali, sa langue natale, Zemlinsky ne put en
comprendre le sens. Sans doute se trouva-t-il dans la même position que Leos
Janacek, qui assista également à cette audition et qui, dans son Journal, cité
dans le programme de la matinée, exprima ne pas en avoir compris le sens mais,
de la sonorité de ses mots et de leur mélodie, avoir reconnu l’amère douleur de
son âme. Zemlinsky en fit son Lied von
der Erde, dans une structure comparable, même si elle comporte un titre de
plus, et dans une référence explicite à cette symphonie lyrique de Gustav
Mahler. Les sources littéraires en sont également orientales, chinoises pour le
premier, indiennes pour le second. L’alternance entre les voix de l’homme et de
la femme est également comparable, même si au duo ténor-contralto de Mahler
succède le choix inverse du baryton et de la soprano chez Zemlinsky. L’œuvre
fut créée en 1923 et demeure trop rare au concert comme au disque. Rapidement
résumé, il s’agit de la rencontre entre un prince et une jeune femme du peuple,
dont les sentiments mutuels et réciproques passent par toutes les extrémités.
Mahler admirait les qualités
musicales de Zemlinsky, tout en regrettant que sa musique fût truffée de
réminiscences en tout genre. Cette symphonie est en effet la réminiscence du Lied von der Erde, mais également des Gurrelieder de Schönberg. Toutefois, là
où Mahler fait de l’amour la source d’une renaissance éternelle du printemps,
Schönberg un élan digne de Tristan, Zemlinsky nous offre une un cheminement
vers la séparation inéluctable, la plénitude ne pouvant s’accomplir qu’en
soi-même, pas en l’amour. Le compositeur a décrit lui-même le sens de son
œuvre, dans un ouvrage intitulé Pult und
Taktstock, en ces termes : « La cohésion interne des sept
chants avec leurs préludes et interludes, qui possèdent tous un seul et même
ton foncièrement profondément grave et passionné, doit parfaitement être mise
en valeur avec une conception et une exécution adéquates de l'œuvre. Le prélude
et le premier chant présentent le sentiment fondamental de toute la symphonie.
Toutes les autres parties… doivent être imprégnées de la couleur du premier
chant. Ainsi par exemple, le second chant qui pourrait occuper la position d’un
scherzo… ne doit surtout pas être abordé comme quelque chose de gai, léger, ou
manquant de gravité ; encore moins le troisième chant - qui est l’adagio
de la symphonie - comme un chant d’amour languide et complaisant… C’était ma
volonté de choisir ainsi ces sept poèmes et de les ordonner dans cette
succession particulière qui leur donne leur affinité intérieure ; c’est
ainsi que se livre leur interprétation voulue sur chacun d’entre eux, assemblés
avec une sorte de traitement de leitmotivs (motifs qui reviennent), de certains
des thèmes, et cela bien sûr exalte l’unité de l’œuvre, et c’est cette unité
qui doit être au tout premier rang de l’interprétation de tout chef d’orchestre ».
Dans ces
deux œuvres à l’orchestre passionné, les Wiener Philarmoniker furent
exceptionnels de qualité. Lyrisme, amour, passions, mort, rien ne leur est
étranger, ils peuvent tout jouer, tout inspirer, tout exposer. Les deux
chanteurs du jour étaient de même niveau, le Baryton Michael Volle et la
Soprano Christine Schäfer, car c’est le baryton qui introduit et conclut le
cycle, ce qu’autorise le nombre impair des chants, alors que chez Mahler, leur
nombre de six offre de commencer par l’un et de terminer sur l’autre.
Les
demandes et les espoirs de l’homme sont beaux exprimés par le timbre chaleureux
et la profondeur colorée de cette voix qui chante beaucoup à l’opéra comme au
lied et qui maîtrise naturellement la langue de Zemlinsky. C’est à lui
qu’incombe le cœur de l’œuvre, le troisième chant, par lequel Tagore exprime
que l’amour doit dépasser la dimension charnelle pour se projeter vers la
nostalgie du désir.
Suivant
des chemins différents qui ne le rejoignent jamais, la femme dans ces chants
est apaisante, résignée au point de disparaître finalement. Habituée elle aussi
de tout le répertoire lyrique allemand – elle a chanté Konstanze, Cherubino,
Pamina, Donna Anna, Sophie ou Lulu dans un cheminement qui est une exploration
totale du rôle de la femme à l’opéra – Christine Schäfer porte toutes les
couleurs de Zemlinsky, entre Mozart, Strauss et Berg, rendant les indications
toujours très précises de l’auteur.
La
lenteur est la marque de cette symphonie, les textes confiés au baryton étant
en effet notés successivement Langsam (1), Adagio (3), Feurig und kraftvoll
(5) et Molto adagio pour finir. La femme quant à elle chante sur des
indications plus variées, mais toujours axées sur la lenteur, sauf le Lebhaft,
pour commencer (2) mais Langsam ensuite (4), pour finir sur Sehr
mässige Viertel.
Franz
Welser-Möst, chef autrichien né à Linz, a fait ses débuts au Festival de
Salzbourg à vingt-cinq ans, en 1985, avant de travailler avec Abbado, de
prendre la succession de Klaus Tennsted à Londres, puis de diriger l’Orchestre
de Cleveland et, depuis la saison 2010-2011, l’Opéra de Vienne. Ce chef n’a
jamais été épargné par les critiques. S’il manque certainement de charisme, ce
n’est pas pour autant un mauvais musicien. Sa direction est simple, assez
classique, dotée d’une élégance toute autrichienne qui se marie fort bien à
l’Orchestre et au lieu, comme à la musique de Zemlinsky. Il n’en demeure pas
moins que le concert valait surtout pour la rareté des œuvres programmées – ce
qui est aussi à porter au crédit du chef, la beauté de l’orchestre et
l’engagement des solistes que par une direction précise et cohérente mais qui
aurait pu être plus inspirée face aux enjeux de Tagore et de Zemlinsky.
17
septembre 2011
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