dimanche 19 avril 2015

DE LA DIFFICULTE DE FAIRE QUELQUE CHOSE DE SOI APRES BEETHOVEN


Franz Schubert avait écrit : « Au fond, j’espère bien faire quelque chose de moi, mais qui peut encore faire quelque chose après Beethoven ? ». Mort un an seulement après son illustre aîné, son Ouverture dans un style italien, D590, ouvrait le premier concert de l’OSR dans sa série Symphonie, le 20 octobre 2011. Schubert a sans aucun doute fait quelque chose après Beethoven, à la puissance duquel il a répondu par une intimité mise en musique qui m’a toujours semblé impropre au concert. J’aime écouter Schubert seul, le concert n’offrant par nature pas l’intimité nécessaire à le pénétrer. Schumann d’ailleurs ne s’y était pas trompé, qui partageait l’affiche de cette ouverture de saison avec sa Troisième symphonie en mi bémol majeur, op. 97, dite Rhénane. Schumann, qui avait dix-huit ans à la mort de Schubert, lui reconnaissait une place majeure dans la musique de son temps : « Il n’existe aucune autre musique, hors celle de Schubert, qui soit aussi remarquable du point de vue psychologique dans la suite des idées et des liens entre elles. Qu’ils sont peu nombreux, ceux qui ont su, comme lui, exprimer leur propre caractère à travers des tableaux sonores ; encore plus rares sont ceux qui ont su tant écrire pour eux-mêmes et pour leur propre cœur ». Alors que les trois premières symphonies de Schubert sont contemporaines des septièmes et huitième de Beethoven, ses deux ouvertures dans le style italien reflètent sans doute davantage l’énorme succès dont jouissait alors à Vienne Rossini.
Cette entame subtile pleine de douceur nous entraînait vers le Troisième concerto pour violon et orchestre, en ré mineur, op. 58, de Max Bruch, confié à l’archet de Bogdan Zvoristeanu, par ailleurs premier violon solo de l’OSR. Bruch, héritier du grand romantisme allemand ne sut jamais s’affirmer face aux compositeurs majeurs de son temps, qui furent Brahms, Liszt ou Wagner. Seul son premier concerto pour violon a su s’imposer, éclipsant tout le reste de l’œuvre d’un compositeur très tôt prolifique. Le troisième concerto donné ce soir recueillit un beau succès le soir de sa création, en mai 1891, à Düsseldorf, sous la direction de l’auteur et avec le violon de Josef Joachim. De la longueur des grands concertos de Beethoven ou Brahms, il n’en atteint certainement pas la profondeur, même si l’écoute en est plaisante, la mélodie agréable et l’orchestration maîtrisée. Il y manque néanmoins ce petit supplément d’âme qui pourrait en faire une œuvre maîtresse du répertoire. Il manquait aussi à Bogdn Zvoristeanu ce même petit supplément d’âme pour incarner en soliste ce concerto avec l’Orchestre au sein duquel il joue habituellement. D’une belle sonorité, d’une parfaite tenue, nous avons entendu une belle interprétation de cette œuvre mais il y manquait une vraie personnalité qui distingue le soliste du musicien d’orchestre. En choisissant cette pièce, ni l’orchestre ni le soliste ne se sont fourvoyé pourtant, offrant un choix judicieux, tant il demeure agréable de pouvoir entendre également des œuvres rares qui, pour ne pas s’être imposées au firmament de la musique, n’en demeurent pas moins digne d’être programmées.
Schumann terminait ce concert dans sa Troisième Symphonie, dite Rhénane. Si Schubert parle à son cœur, Schumann met en relief les fragilités et les faiblesses de chacun, les siennes en particulier, qui le mèneront à la folie et à la mort. La lutte incessante de Florestan et d’Eusebius, les tourments d’un esprit génial que la musique finit par noyer sous des flots trop puissants pour n’être plus maîtrisés, forment le fondement de la musique de Schumann. Le Rhin, si présent dans la vie et la mort du compositeur accompagne ici également son œuvre. La direction de Janowski était trop sage pour rendre l’ambiance et les tréfonds d’une telle œuvre. Les deux derniers mouvements notamment, notés Feierlich et Lebhaft manquaient précisément de ces caractères là. Il faut savoir aller à l’abîme dans Schumann, non pour le surplomber mais pour y plonger, s’y laisser tomber, griser par la chute, la perte de maîtrise, la peur, l’amour de Clara, partir dans les flots puissants du Rhin, ne pas s’y noyer mais l’avoir voulu, se trouver rejeté de la rive à l’asile, au complet isolement, à la mort. Il faut aller chercher l’interprétation de Schumann dans ses propres faiblesses, oser ouvrir les blessures. Janowski ne l’a pas osé et son interprétation n’a pas su faire quelque chose de cette symphonie d’après Beethoven.
Ce premier concert de la série Symphonie était donné trois semaines après le premier de l’autre série d’abonnement de l’OSR, la série Répertoire. La question de déterminer que faire de soi après Beethoven y était somme toute également posée, au travers d’œuvres aussi différentes que le Deuxième concerto pour piano et orchestre de Béla Bartók  et la Troisième symphonie en ré mineur d’Anton Bruckner, dans sa version de 1889, finalement retenue par l’édition de Léopold Nowak. Sans avoir à entrer dans les dédales des difficultés posées par l’édition des symphonies du Maître de Saint-Florian, seulement convient-il de rappeler que c’est le plus souvent cette partition qui est choisie par les chefs et les orchestres l’interprétant. Janowski connaît bien son Bruckner et il nous livre depuis quelques saisons un cycle de ses symphonies qui, en concert, a varié du bon au moins bon, notamment par la tendance assommante du chef à faire jouer l’orchestre trop fort, surtout dans ses cuivres. Dans une salle relativement petite par rapport aux autres salles de concert que l’on peut connaître en Europe, une telle violence sonore peut devenir rapidement gênante, voire insupportable, comme nous en avions ici rendu compte à propos d’une précédente interprétation de la Sixième Symphonie. Rattrapables au disque ou par la transmission radiophonique, ces défauts sont bien réels dans la salle du Victoria Hall. L’interprétation du soir ne faisait pas l’économie des cuivres et tombait dans ce travers sans heureusement y pousser trop loin. L’Orchestre qui, lui, connaissait peu Bruckner avant Janowski, a appris à s’y repérer et à en rendre les grandes architectures. C’est sans doute maintenant que l’on pourrait entreprendre ce cycle, sur l’expérience accumulée ces dernières saisons et qui a parfois cruellement manqué, notamment à l’abord des huitième et neuvième symphonies.
Quant au piano de Bartók, la salle a réservé, pour sa seconde apparition avec l’OSR, un second triomphe à Boris Berezovsky. Pour la seconde fois également, je n’ai pu me joindre à l’enthousiasme ambiant. Comment aimer ce jeu où l’orchestre couvre constamment le piano dans les premier et troisième mouvements et où le piano se noie lui-même dans le deuxième sous un jeu très indistinct. Tenter dans Bartok un jeu aussi peu défini, des contours aussi flous, des notes qui se fondent les unes dans les autres sans jamais sonner pour elle-même, une telle pédale, c’est comme interpréter un tableau de Munch avec les yeux des impressionnistes. Il suffit de réécouter l’extraordinaire disque de Pollini et Abbado à Chicago ou celui des deux Hongrois Anda et Fricsay à Berlin pour se souvenir de ce qu’il aurait fallu entendre. Janowski quant à lui était déjà dans Bruckner, loin des sources folkloriques du compositeur hongrois. Ouverture en fanfare lisait-on dans le journal du lendemain, en fanfare certes mais rappelons que l’OSR est un orchestre symphonique dont on attend plus de sensibilité.
22 octobre 2011

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