dimanche 19 avril 2015

CHOC DE TITANS


C’est sur un véritable choc de titans que je terminais cette année mon séjour au Festival de Salzbourg. En effet, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de son chef Mariss Jansons, donnait en première partie le Deuxième Concerto pour violon et orchestre, Sz112, de Béla Bartók, avec Leonidas Kavakos au violon, et, en seconde partie, la Première Symphonie, en ré majeur,  de Gustav Mahler, dite Titan.

Les deux pièces sont au programme de l’Orchestre depuis longtemps, qui a créé le concerto de Bartók le 23 mars 1939 et qui joue la Première Symphonie de Mahler depuis 1902. Le livret de la soirée titrait sur le programme intérieur de ces deux œuvres, dans un essai signé Marco Frei, qui mettait en évidence la limite ténue qu’il peut exister entre musique pure et musique à programme. A une époque qui voyait renaître le concerto pour violon, Prokofiev, Berg, Schoenberg, Stravinsky ou Korngold composant chacun le sien dans la même décennie, Bartók y vint également, ou plutôt y revint après un premier concerto plus ancien. Timbre intense, entrecoupé, à la sensibilité contrariée de l’esprit et de la liberté qui se perdaient dans une Europe qui penchait vers sa destruction en ce début de 1939. A l’écoute du monde, la musique de Bartok est humaine, trop humaine, qui avait recueilli jusque dans les voix usées des paysans de Transylvanie, jusqu’en Tunisie des champs populaires, authentiques trésors de la mémoire du monde. Son Concerto pour violon, il le fit criant et suppliant, musique et exil. L’archet de Léonidas Kavakos est impressionnant, survolant l’orchestre, faisant souffler l’âme de l’exil sur les cordes, funambule tendu au-dessus de l’histoire du monde.
Dans la Première Symphonie, Gustav Mahler rencontre Jean Paul sous le titre d’un de ses romans favoris mais sans en reprendre l’intrigue dans son programme, lequel a d’ailleurs évolué plusieurs fois dans les présentations qu’en fit le compositeur lors des premières exécutions, notamment en supprimant l’Andante, ce qui rend à la symphonie une structure a priori classique en quatre mouvements. Cette première symphonie a ceci de commun avec les trois suivantes, qu’elle cite de nombreux lieder issus des textes du Knaben Wunderhorn. Néanmoins, elle ouvre un chapitre nouveau de la symphonie dans son association renouvelée de deux principes de composition antagonistes qui vont sous-tendre toute la symphonie romantique au XIXème siècle, les motifs courts du développement classique et les longues mélodies expressives du lyrisme propre aux romantiques. Le premier mouvement, Langsam, Schleppend, est tout entier construit sur un lied dont les variantes apparaissent battues comme un jeu de cartes.  Le deuxième mouvement, Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell – Trio. Recht gemächlich, est le premier Scherzo de Mahler, qui ne porte d’ailleurs pas ce titre, Ländler paysan aux saveurs proprement mahlériennes. Le troisième mouvement, Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen, est une marche illustrant les funérailles du chasseur sur le canon de Frère Jacques, chanson qu’il voyait depuis son enfance comme profondément tragique. Enfin, le Finale, Stürmisch bewegt, est un grand allegro de sonate qui canalise toutes la violence de ses émotions dans une structure solide très travaillée.
Jansons va à l’essentiel dans cette œuvre même s’il développe une science des détails qui lui permet de présenter tous les climats du compositeur. L’Orchestre le suit à merveille, s’amusant à redécouvrir la partition encore et encore. Cela fait cent dix ans que ça dure pour notre plus grand bonheur, même si Jansons ne nous a pas laissé dans cette symphonie l’impression transcendante que nous ressentîmes il y a quelques années de cela, avec ce même orchestre, sous la baguette de Riccardo Chailly.
1er septembre 2012

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