dimanche 20 juillet 2014

EN CHAQUE OMBRE DES ETRES HUMAINS



Alors que le bicentenaire verdien touchait son apogée dans la représentation de Don Carlo, comment ne pas programmer également cette Missa da requiem d’un compositeur qui sortait de son terrain scénique de prédilection pour apporter à l’art du requiem une œuvre emblématique. Si la présence au programme du Festival de Salzbourg des opéras de Verdi a souvent suscité des tensions, celle du Requiem y est bien plus régulière. C’est en dirigeant cette œuvre que Karajan réalisait son premier enregistrement depuis Salzbourg, le 14 août 1949, avec à l’affiche le même orchestre des Wiener Philarmoniker et pour chanteurs Hilde Zadek, Margarete Klose, Helge Rosvaenge et Boris Christoff. Comme il fallait faire dans l’exceptionnel en ces temps de jubilé, l’on rassemblait pour trois concerts, du 15 au 18 août 2013, la baguette de Riccardo Muti, le soprano de Krassimira Stoyanova, le mezzo d’Elina Garanca, le ténor Piotr Beczala et la basse Dmitry Belosselskiy. 
Voici donc l’un des requiem les plus célèbres de l’histoire, venant d’un musicien farouchement anticlérical. L’éventualité pour Verdi de composer un requiem remonte à l’année 1865, alors qu’une épidémie de choléra envahissait l’Italie ; quatre ans plus tard vint une messe pour Rossini, puis la conception de la scène finale d’Aïda, que Verdi décrivit comme un requiem et un De profundis égyptien, chanté par Amneris sur la tombe de Radamès. C’est en 1873 que Verdi se résolut enfin à la composition de cette Missa da Requiem, Manzoni mort et Mariani à l’agonie, consacrant le temps de la composition à mettre en place également la distribution de la création. Il est vrai que cette œuvre qui dure, comme Verdi l’observait, presque autant que la Norma de Bellini, qui rassemble deux cents musiciens et choristes, recèle plus de difficultés qu’un opéra. L’on critiqua d’ailleurs, à la création, un côté trop théâtral et Hans von Bülow (gendre de Liszt, avant de céder sa place et sa femme à Wagner) écrivit à l’Allgemeine Zeitung que Verdi avait composé l’œuvre afin de balayer les derniers débris de l’immortalité de Rossini, qui l’embarrassaient, que ce n’était là qu’un mélodrame en habits ecclésiastiques. Le succès populaire fut néanmoins énorme et perdure aujourd’hui. Très vite également ce fut un succès économique, dont témoigne cette lettre de Munzio à Verdi, écrite de New York le 18 novembre 1874 : « Hier nous avons exécuté la Messe et ce fut vraiment un beau succès. Sans modestie, j’aurais dit un grand succès. Les prêtres vendent le Requiem dans deux églises, et nous ne pouvons nous y opposer, car il n’existe pas de convention de droits d’auteurs avec l’Italie. L’archevêque de New York veut qu’on l’exécute à la cathédrale. S’il paye, on le fera ». Une messe de requiem qui peut donc trouver sans désordre sa place au jubé, moins chœur liturgique que tourné vers la nef des auditeurs, fidèles ou non. 
Muti connaît son Requiem depuis longtemps, comme tous ses Verdi d’ailleurs, et ce n’est pas la première fois qu’il vient le donner à Salzbourg, où il dirige cette année également Nabucco. Sur la scène du Grosses Festspielhaus en ce matin du 18 août 2013, la veille d’y découvrir la fameuse production de Don Carlo, il y avait tout d’une grande représentation. Le port altier d’un chef immense, qui montre un certain orgueil à présenter une chevelure de jais à un âge où le blanc se masque encore par coquetterie mais garde le geste sûr, au sommet de son art, certain d’un succès qu’il sait sans doute acquis mais qu’il va chercher néanmoins dans une interprétation sans concession. Dans une œuvre où il est facile de faire de l’effet, la lecture de Muti ne laisse rien au hasard et mesure chaque note, chaque son. Dans une entente parfaite avec l’Orchestre qui sent le long travail en commun, il ombre le repos éternel des âmes qu’un Dies Irae violent ne viendra durablement troubler. Sans jamais tomber dans l’excès de théâtralité, Muti met en avant les jeux de clair-obscur dont est pleine la partition. 
Affichant un quatuor de solistes au meilleur des distributions qu’il est possible de rassembler aujourd’hui, ce requiem était en plus parfaitement chanté et les chœurs étaient magnifiquement préparés. Elina Garanca, au timbre plein de couleurs était particulièrement touchante dans les premières mesures du Lacrimosa. Le Libera me de Krassimira Stoyanova ne devrait laisser aucune âme contrainte et quel Offertorium ! Ensemble, les deux femmes faisaient courir des frissons dans le Rex tremendae. La voix de stentor de Dmitry Belosselskiy donnait des profondeurs sépulcrales au Tuba mirum et au Confutatis. Ténor très en vue, Piotr Beczala offrait un timbre magnifique mais forçait parfois un peu sa voix, cherchant l’opéra là où Muti ne le voulait pas. Quel protecteur invoquerai-je, quand le juste sera lui-même dans l’inquiétude, sinon ces cordes de l’orchestre ouvrant à la lumière éternelle (Lux aeterna).
19 août 2013.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.