dimanche 19 avril 2015

UN STYLE LEGEREMENT SERIEUX OU SERIEUSEMENT LEGER


Pour deux soirs et dans chacune des deux principales séries d’abonnement de l’OSR, les 7 et 9 décembre 2011, la baguette était à Neeme Järvi, nouveau directeur artistique de l’Orchestre, qui prendra pleinement ses fonctions en y ajoutant celles de directeur musical en septembre 2012. Le programme était composé de l’Ouverture de concert en fa majeur, opus 123, de Joachim Raff, du Concerto pour violon et orchestre N°2 en sol mineur, opus 63, de Sergei Prokofiev, et de la Symphonie N°6 en si mineur opus 74, dite Pathétique, de Piotr Ilyitch Tchaïkovski.
Les œuvres de Joachim Raff (1822-1882) sont largement méconnues et n’ont pas eu le succès posthume que Liszt leur envisageait, lorsqu’il écrivait : « S’il est vrai que les œuvres d’art vivent grâce à leur style, alors la musique de Raff devrait durer ». Raff, dont le nom est gravé sur la façade du Victoria Hall fait partie, pour le plus grand nombre, de ces inconnus qui furent un temps célébrés, mais dont l’œuvre n’a finalement que peu survécu à leur temps. Pourtant, la musique de ce Schwytzois qui fut l’élève de Liszt et qui travailla pour Mendelssohn, n’est pas dépourvue de qualités. C’est encore Liszt qui en parle le mieux : « Son style  est compact, réfléchi et plein de trouvailles harmoniques, dont l’audace est presque toujours basée sur des règles. L’originalité de Raff tient à la façon dont il combine et assimile les éléments qu’il emploie. Son style mérite une place particulière parmi ses pairs et son individualité attire l’attention. Il s’est façonné un style parfaitement adapté aux particularités de son talent et de son caractère spécifique ».
L’Ouverture de ce soir renferme toutes les qualités et tous les défauts de Raff. Si l’inspiration est là et l’orchestration parfaitement maîtrisée, la profusion d’idées mélodiques qu’une page aussi ramassée interdit de développer donne l’impression de bribes tronquées. Parfaite comme ouverture de concert, agréable à l’oreille, il n’y a pas là de quoi sans doute raviver durablement le souvenir de Raff.
Sergei Prokofiev est d’une toute autre trempe, d’une toute autre époque aussi. Parlant de son second Concerto pour violon et orchestre, il remarquait, dans un entretien aux Izvestia, du 16 novembre 1934 : « Je qualifierai la musique dont on a besoin ici de ‘légèrement sérieuse’ ou de ‘sérieusement légère’ ; il n’est guère facile de trouver le langage qui convienne. Avant tout, elle doit être très mélodique, d’une mélodie simple et compréhensible qui ne doit ni se répéter ni être empreinte de trivialité ».
De coupe classique, cette œuvre bouleverse pourtant constamment les attentes, pour terminer sur un Allegro ben marcato franchement mais joyeusement dissonant. Le jeu enlevé de Vadim Repin correspondait parfaitement à cet interstice qui peut exister entre une musique sérieusement légère ou légèrement sérieuse sous un archet toujours précis. Une écoute partagée avec l’orchestre et une direction efficace ont donné de ce concerto une parfaite interprétation.
Après l’entracte, le morceau de bravoure était celui de la dernière symphonie de Tchaïkovski. Icône de l’époque tsariste dont le régime communiste avait lissé l’image afin qu’elle pût convenir au communisme triomphant. On ne trouve plus aujourd’hui de programme qui ne fasse mention de l’homosexualité du compositeur, longtemps passée sous silence, alimentant tous les fantasmes autour de sa mort, soi-disant suicide pour se préserver du scandale d’une relation rendue publique avec un jeune homme. Peu importe, la musique de Tchaïkovski n’en est pas plus ou moins belle pour autant et cette dernière œuvre orchestrale du compositeur peut dignement figurer au panthéon des grandes symphonies romantiques, lui-même n’hésitant pas à la considérer comme la meilleure des œuvres qu’il eût écrites.
Symphonie à programme secret, elle reprend pour entame le début de la Sonate Pathétique de Beethoven, dès les premières mesures de l’introduction, marquées Adagio. L’immense mouvement initial, aussi long que les deux suivants réunis, est en soi tout un poème symphonique. Le deuxième mouvement, une valse à cinq temps marquée Allegro con grazia a un caractère léger qui pourrait cependant, du fait du thème du destin qu’il développe, rejoindre un peu du sérieux évoqué par Prokofiev. Le Scherzo qui suit a quelque chose d’inquiétant, au point que le chef en perdit un instant sa baguette qui alla virevolter entre les deux pupitres de premiers violons. Innovation de forme quasi sans précédent à l’époque, la symphonie se termine sur un Adagio lamentoso riche et inspiré.
Avec un orchestre en place qui a parfaitement su maîtriser toute la profondeur de cette partition, Neeme Järvi avait de quoi nous donner une belle soirée. Le Chef letton est en effet manifestement chez lui dans la musique russe, de Prokofiev comme de Tchaïkovski. Jouant des couleurs de l’orchestre, il le tient, ne laissant pas les cuivres notamment nous assourdir dans une œuvre où ils sont très sollicités. Basé sur un travail de fond réalisé par Janowski dont peut-être est-ce là l’essentiel de l’apport d’un cycle Bruckner par ailleurs inévitablement décevant, l’appropriation de la pâte symphonique par l’OSR est remarquable.
11 décembre 2011

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