dimanche 19 avril 2015

POUR POUVOIR VIVRE, IL FAUT FAIRE TANT DE CHOSES QU’ON EN PERD TOUT SON TEMPS POUR L’ART


Anton Bruckner aurait sans doute encore davantage raison aujourd’hui qu’en octobre 1862, lorsqu’il écrivait dans une lettre : « A Vienne j’ai perdu tout ressort et toute joie. Pour pouvoir vivre, il faut faire tant de choses qu’on en perd tout son temps pour l’art ». Ce cycle des symphonies du Maître de Saint-Florian auquel Marek Janowski consacre beaucoup d’énergie depuis quelques saisons à la tête de l’OSR commence à prendre suffisamment corps pour en justifier la programmation. La confrontation régulière à ces œuvres immenses auparavant peu familières de l’Orchestre a permis au fil des saisons de charpenter de belles interprétations, là où souvent, notamment dans une Huitième Symphonie abordée trop tôt, un manque de connaissance et de travail nous montrait malheureusement davantage les carences de l’Orchestre dans ce répertoire que les beautés de ces partitions.
Avec la Quatrième Symphonie, en mi bémol majeur, dite Romantique, nous abordons sans doute en ce 18 janvier 2012, l’œuvre la plus connue et la plus jouée du Compositeur, celle par laquelle son style parvient à maturité. Ce titre de Romantique, donné par Bruckner lui-même à cette œuvre, est la seule qu’il ait pourvue d’un titre en lequel nombreux sont ceux qui ont voulu rechercher tout un programme. Il n’en demeure pas moins qu’il y a dans cette partition un certain souffle romantique, au sens que l’on donnait à l’époque à ce terme en l’associant aux légendes populaires idéalisées, une puissance de plus grande profondeur que dans ses œuvres antérieures.
Sous la baguette de Marek Janowski, l’OSR avait belle allure dans cette partition, non sans forcer parfois sur les cuivres, comme trop souvent dans ce genre de répertoire. Günter Wand a définitivement démontré, dans ses enregistrements des symphonies de Bruckner à la tête de l’Orchestre Philarmonique de Berlin, que la puissance de ces œuvres réside ailleurs que dans d’assommants volumes de cuivres lâchés à leurs excès. N’atteignant jamais à une si rare sensibilité, la lecture de Janowski et de l’OSR offrait néanmoins de belles couleurs, de beaux élans qui eussent gagné à être mieux retenus mais qui n’en démontraient pas moins l’installation progressive au répertoire de l’Orchestre de ces pages majeures de la symphonie.
C’est un peu dans la même approche que Janowski nous offrait, le surlendemain, 20 janvier 2012, la grande Symphonie en ré mineur de César Franck. Debussy, qui avait été son élève, aimait à dire que César Franck était un homme sans malice et que le simple fait d’avoir trouvé une belle harmonie suffisait à sa joie d’un jour. Dans la rareté du répertoire symphonique français, l’œuvre de César Franck est une réussite remarquable, qui reste l’unique symphonie du compositeur. Ecrite entre 1887 et 1888, elle reçut pourtant un accueil méprisant lors de sa création l’année suivante, aux Concerts du Conservatoire. Symphonie classique, selon les termes du compositeur, elle s’est ensuite largement imposée au répertoire. Rêverie désintéressée, cette œuvre en trois mouvements, successivement Lento – Allegro non troppo, Allegretto et Allegro non troppo, est bien plus ancienne au répertoire de l’OSR que les œuvres de Bruckner.
L’auditeur qui entendit, à deux jours d’intervalle, ces deux grandes œuvres symphoniques, peut regretter qu’on ne lui offrît pas une diversité d’approche plus marquée. Fort belle dans ses timbres et parfaitement maîtrisée, l’interprétation de Janowski dans celle de Franck gardait cependant un je-ne-sais-quoi d’encore brucknérien, sur la lancée du concert précédent. J’eusse pour ma part aimé plus de clarté dans cet orchestre, une approche plus latine peut-être, qui aurait mis en valeur tout le chromatisme de l’écriture.
Chacun de ces concerts était ouvert par une œuvre concertante de grande stature, qui offrait ainsi la contrepartie adéquate à ces deux importantes symphonies. Le premier, le 18 janvier 2012, offrait à l’archet remarquable de Nicolaj Znaider les lignes célèbres du Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, op. 47 de Jean Sibélius. Si Sibélius a joué une part considérable dans l’histoire du nationalisme finlandais en développant une œuvre résolument tournée vers son folklore et la construction d’une identité culturelle qui la distinguât de la Russie dominatrice d’alors, la composition de ce Concerto, au contraire, lui a permis de gommer les aspects les plus revendicatifs pour chercher un plus large public en Finlande comme à l’étranger et faire taire les critiques liées à une musique trop politique. Remanié deux ou trois ans après une création difficile, à l’occasion d’un voyage à Berlin où sa Deuxième Symphonie connut un succès honorable, c’est surtout la découverte de la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler et des poèmes symphoniques de Richard Strauss qui redonna une envie nouvelle de composer à Jean Sibélius. La nouvelle version du Concerto, créée à Berlin en 1905 sous la direction de Richard Strauss s’est imposée au répertoire.
Nicolaj Znaider, qui partage désormais sa carrière entre le violon et la direction d’orchestre, a fait beaucoup ce soir pour cette interprétation remarquable de l’œuvre. Maîtrisant parfaitement cette partition, il entraînait l’orchestre, renforçant significativement la direction de Janowski, sans parvenir totalement à lui éviter certaines lourdeurs. Il y a des couleurs extraordinaires dans les partitions de Sibélius et il n’est pas donné à tout le monde de les apercevoir et moins encore de les rendre. Celles et ceux qui se souviennent de la Cinquième symphonie donnée à l’OSR par Susanna Mälkki, il y a une année, savent à quel point les sonorités de l’orchestre peuvent convenir à ce compositeur. Il y avait moins de richesse, moins de compréhension identitaire de cette culture typique du Kalevala et de ses héros tragiques chez Janowski qu’il y en eut chez Mälkki, c’est vrai. Néanmoins, cette approche de type grand répertoire romantique ou postromantique adoptée par Janowski n’était, de loin, pas hors sujet dans cette pièce. 
Vint le 20 janvier 2012 et le Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54, de Robert Schumann. Selon les termes du compositeur, qui en pensait encore les lignes avant de les écrire : « Ce sera un mélange de symphonie, de concerto et de grande sonate. Il faut que je pense à quelque chose d’autre comme forme, car je ne saurais écrire un concerto pour virtuose ». C’est sans doute l’absence de ce caractère purement virtuose qui fit dire à Liszt qu’il s’agissait en fait d’un « Concerto sans piano ». Il y a beaucoup dans cette œuvre de la relation entre Robert et Clara, du compositeur poète écrivant pour la virtuose adorée.
Sous les doigts fins et intelligents de Nicolaï Luganski, très à son aise dans cette partition, qu’il emmena ensuite en Russie avec l’OSR et son chef dans deux haltes à Saint-Pétersbourg et à Moscou, la partition était remarquablement rendue, sans que l’on y trouve cependant cette symbiose entre le chef et le soliste qui puisse en faire un moment inoubliable.
4 février 2012

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