dimanche 19 avril 2015

L’OFFRANDE LYRIQUE DES WIENER PHILARMONIKER


En consacrant le concert de la matinée du 25 août 2011, donné par les Wiener Philarmoniker sous la baguette de Franz Welser-Möst, à l’œuvre de Schubert, Der Tod und das Mädchen, dans son orchestration pour orchestre à cordes de Gustav Mahler, puis à la Lyrische Symphonie d’Alexander Zemlinsky, sur des textes de Rabindranath Tagore, c’est une véritable offrande lyrique que nous offrit l’orchestre et son chef.
Le quatuor de Schubert, Der Tod und das Mädchen, D810, en ré mineur, date de mars 1824 et est composé ensemble avec celui en la mineur, D804. L’appel du ré mineur et la référence au Lied de 1817, D531, dont il a repris le titre, le souvenir du Erlkönig, dans la même tonalité, lui imprime, dans l’œuvre de Schubert, une nature funèbre. L’ouverture de cette pièce détermine le climat de l’œuvre. La cellule initiale du premier mouvement, Allegro, est directement issue du choral de la mort du lied éponyme, où elle accompagne la terreur de la jeune fille. Ce signal fatidique n’est pas sans rappeler Beethoven car ce motif implacable conduit tout le premier mouvement. Le deuxième mouvement, Andante con moto, est également nourri par le choral de la mort, grave, laissant de côté la jeune fille éperdue. Le thème du Scherzo, allegro molto, s’appuie pour s’élancer sur un rythme directement issu du choral de la mort, du deuxième mouvement et du signal de la mort qui ouvre le quatuor. Le retour au ré mineur souligne encore le côté macabre de ce troisième mouvement. Le Finale, presto, également en ré mineur, ne fait que continuer sur la lancée avec son rythme de tarentelle qui combine le scherzo et la forme sonate dans une danse de cauchemar échevelée par de brusques variations d’intensité.
Comment ne pas penser qu’une telle antienne de la mort ne parlât particulièrement à Gustav Mahler, dont on trouve, plus ou moins explicitement énoncée comme telle, une marche funèbre dans toutes les œuvres. C’est durant ses années passées à Hambourg, entre 1891 et 1897, que Gustav Mahler arrangea pour orchestre à corde ce quatuor de Schubert. Titrée dans le programme du Festival « Mehr als ein Gedankenexperiment », cette version de Mahler se trouve en effet transposée pour un imposant orchestre à cordes, ce qui lui permet d’exprimer tout le côté symphonique de la partition de Schubert, lui ajoutant une certaine profondeur. C’est un hommage à son prédécesseur.
Hommage également de Zemlinsky, à Mahler cette fois, que sa Lyrische Symphonie sur sept textes du poète Indien Prix Nobel de littérature en 1913, Rabindranath Tagore. Zemlinsky avait entendu le poète lire certains de ses textes à l’Université Caroline de Prague, le 21 juin 1921. La lecture en ayant été donnée par Tagore en bengali, sa langue natale, Zemlinsky ne put en comprendre le sens. Sans doute se trouva-t-il dans la même position que Leos Janacek, qui assista également à cette audition et qui, dans son Journal, cité dans le programme de la matinée, exprima ne pas en avoir compris le sens mais, de la sonorité de ses mots et de leur mélodie, avoir reconnu l’amère douleur de son âme. Zemlinsky en fit son Lied von der Erde, dans une structure comparable, même si elle comporte un titre de plus, et dans une référence explicite à cette symphonie lyrique de Gustav Mahler. Les sources littéraires en sont également orientales, chinoises pour le premier, indiennes pour le second. L’alternance entre les voix de l’homme et de la femme est également comparable, même si au duo ténor-contralto de Mahler succède le choix inverse du baryton et de la soprano chez Zemlinsky. L’œuvre fut créée en 1923 et demeure trop rare au concert comme au disque. Rapidement résumé, il s’agit de la rencontre entre un prince et une jeune femme du peuple, dont les sentiments mutuels et réciproques passent par toutes les extrémités.
Mahler admirait les qualités musicales de Zemlinsky, tout en regrettant que sa musique fût truffée de réminiscences en tout genre. Cette symphonie est en effet la réminiscence du Lied von der Erde, mais également des Gurrelieder de Schönberg. Toutefois, là où Mahler fait de l’amour la source d’une renaissance éternelle du printemps, Schönberg un élan digne de Tristan, Zemlinsky nous offre une un cheminement vers la séparation inéluctable, la plénitude ne pouvant s’accomplir qu’en soi-même, pas en l’amour. Le compositeur a décrit lui-même le sens de son œuvre, dans un ouvrage intitulé Pult und Taktstock, en ces termes : « La cohésion interne des sept chants avec leurs préludes et interludes, qui possèdent tous un seul et même ton foncièrement profondément grave et passionné, doit parfaitement être mise en valeur avec une conception et une exécution adéquates de l'œuvre. Le prélude et le premier chant présentent le sentiment fondamental de toute la symphonie. Toutes les autres parties… doivent être imprégnées de la couleur du premier chant. Ainsi par exemple, le second chant qui pourrait occuper la position d’un scherzo… ne doit surtout pas être abordé comme quelque chose de gai, léger, ou manquant de gravité ; encore moins le troisième chant - qui est l’adagio de la symphonie - comme un chant d’amour languide et complaisant… C’était ma volonté de choisir ainsi ces sept poèmes et de les ordonner dans cette succession particulière qui leur donne leur affinité intérieure ; c’est ainsi que se livre leur interprétation voulue sur chacun d’entre eux, assemblés avec une sorte de traitement de leitmotivs (motifs qui reviennent), de certains des thèmes, et cela bien sûr exalte l’unité de l’œuvre, et c’est cette unité qui doit être au tout premier rang de l’interprétation de tout chef d’orchestre ».
Dans ces deux œuvres à l’orchestre passionné, les Wiener Philarmoniker furent exceptionnels de qualité. Lyrisme, amour, passions, mort, rien ne leur est étranger, ils peuvent tout jouer, tout inspirer, tout exposer. Les deux chanteurs du jour étaient de même niveau, le Baryton Michael Volle et la Soprano Christine Schäfer, car c’est le baryton qui introduit et conclut le cycle, ce qu’autorise le nombre impair des chants, alors que chez Mahler, leur nombre de six offre de commencer par l’un et de terminer sur l’autre.
Les demandes et les espoirs de l’homme sont beaux exprimés par le timbre chaleureux et la profondeur colorée de cette voix qui chante beaucoup à l’opéra comme au lied et qui maîtrise naturellement la langue de Zemlinsky. C’est à lui qu’incombe le cœur de l’œuvre, le troisième chant, par lequel Tagore exprime que l’amour doit dépasser la dimension charnelle pour se projeter vers la nostalgie du désir.
Suivant des chemins différents qui ne le rejoignent jamais, la femme dans ces chants est apaisante, résignée au point de disparaître finalement. Habituée elle aussi de tout le répertoire lyrique allemand – elle a chanté Konstanze, Cherubino, Pamina, Donna Anna, Sophie ou Lulu dans un cheminement qui est une exploration totale du rôle de la femme à l’opéra – Christine Schäfer porte toutes les couleurs de Zemlinsky, entre Mozart, Strauss et Berg, rendant les indications toujours très précises de l’auteur.
La lenteur est la marque de cette symphonie, les textes confiés au baryton étant en effet notés successivement Langsam (1), Adagio (3), Feurig und kraftvoll (5) et Molto adagio pour finir. La femme quant à elle chante sur des indications plus variées, mais toujours axées sur la lenteur, sauf le Lebhaft, pour commencer (2) mais Langsam ensuite (4), pour finir sur Sehr mässige Viertel.  
Franz Welser-Möst, chef autrichien né à Linz, a fait ses débuts au Festival de Salzbourg à vingt-cinq ans, en 1985, avant de travailler avec Abbado, de prendre la succession de Klaus Tennsted à Londres, puis de diriger l’Orchestre de Cleveland et, depuis la saison 2010-2011, l’Opéra de Vienne. Ce chef n’a jamais été épargné par les critiques. S’il manque certainement de charisme, ce n’est pas pour autant un mauvais musicien. Sa direction est simple, assez classique, dotée d’une élégance toute autrichienne qui se marie fort bien à l’Orchestre et au lieu, comme à la musique de Zemlinsky. Il n’en demeure pas moins que le concert valait surtout pour la rareté des œuvres programmées – ce qui est aussi à porter au crédit du chef, la beauté de l’orchestre et l’engagement des solistes que par une direction précise et cohérente mais qui aurait pu être plus inspirée face aux enjeux de Tagore et de Zemlinsky. 
17 septembre 2011

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