dimanche 19 avril 2015

L’AFFAIRE MAKROPOULOS


Rare honneur salzbourgeois que celui fait à l’opéra de Leoš Janáček, Věc Makropulos ou, en français, L’affaire Makropulos, huitième et avant-dernier opéra du compositeur tchèque, composé entre novembre 1923 et décembre 1925, créé le 18 décembre 1926 à Brno, sur un livret adapté par le compositeur lui-même à partir d'une pièce de Karel Čapek. L'œuvre ne comprend à peu près rien de ce qui fait usuellement le succès d’un opéra : ni airs, ni duos, ni ensembles, ni chœurs, ni surtout de volonté particulière d'effet. La récitation rapide et continue de dialogues parlés offre l’expression d’un travail rythmique particulièrement élaboré sur une écriture orchestrale très riche.
Le premier acte s’ouvre sur un début d'après-midi pragois, vers 1920, au cabinet de Maître Kolenatý, avocat de son état. Vítek, le clerc, donne à Albert Gregor des nouvelles du procès qui, depuis 1827, oppose sa famille à celle du baron Prus, du fait que le défunt Josef Prus aurait eu, voilà bientôt cent ans, un fils illégitime, Ferdinand Gregor, avec la chanteuse Ellian MacGregor, dont descendraient tous les Gregor. La célèbre cantatrice Emilia Marty semble étrangement connaître les détails de cette vieille histoire. C’est elle qui permet à Albert Gregor de retrouver un testament de Prus en faveur de son fils illégitime. Encore convient-il de prouver la parenté d’Alfred et de Ferdinand Gregor. La cantatrice promet d'en apporter la preuve à Albert, s'il l'aide à retrouver de vieux documents écrits en grec.
Le deuxième acte nous permet de retrouver, le même soir, Emilia dans sa loge, qui se moque des chanteuses du passé, s’amuse des égarements sentimentaux d’un vieux noble sénile, le comte Hauk-Šendorf, qui la prend pour une gitane aimée des décennies plus tôt. Prus la fait changer d’humeur cependant, lorsqu’il l’informe posséder des lettres qui mettraient en évidence le rôle d’une certaine Elina Makropoulos dans la naissance de Ferdinand. La cantatrice promet de se donner au Baron dans une nuit d’amour contre l’enveloppe cachetée qui accompagne ces lettres.
L’action du troisième acte se déroule le lendemain, après le suicide du fils Prus, qu’Emilia avait soudoyé pour qu’il vole son père. C’est là que l’on apprend toute la vérité sur cette fille Makropoulos, qui, née en Crète en 1575, avait servi à tester un élixir de vie éternelle, devenant au fil des siècles des femmes différentes dont les initiales E. M. gardent seules les traces. Les effets de l’élixir s’estompant finalement avec le temps, Emilia Marty revenait à Prague pour en retrouver la formule dans les papiers de Prus. Avouant toutefois les malheurs d’une si longue existence, elle en offre finalement la formule à la fille de Vítek, qui la brûle. Emilia s’effondre alors, morte.
La mise en scène de Christoph Marthaler est fondée sur un décor unique, qui sert à la fois de bureau d’avocat, de tribunal ou de tout autre lieu. Exploitant à merveille la largeur de la scène du Grosses Festspielhaus, il donne beaucoup d’humour à cette histoire, notamment lorsque, au lever de rideau, un long dialogue muet entre une veille dame et une infirmière sur les choses de la vie se déroule dans une local vitré ne nous permettant pas de les entendre, seuls des surtitrages nous permettant de suivre une conversation dont nous serions sinon exclu. Puis la musique et l’action démarrent pour ne plus s’arrêter, dans un flot musical magnifiquement écrit. Tout au long du troisième acte, un comique de répétition nous montre un homme venir d’innombrables fois livrer de fleurs à la vieille dame du monologue initial. De beaux volumes, de très belles lumières pour une direction d’acteurs parfaitement réglée.
Dans cette œuvre très particulière, tout tourne autour d’Emilia Marty. Incarner celle qui est, selon le livret, la plus grande cantatrice du moment, croulant chaque soir sous le succès le plus complet, n’est sans doute pas chose aisée. Angela Denoke y parvient merveilleusement. La voix est parfaite comme la présence et l’interprétation. Elle y met un certain détachement, sans doute propre à celle qui a vécu trois cent trente-sept années sur scène, qui a surtout trop vécu pour ne plus s’étonner de quoi que ce soit. Autour d’elle, tous les autres personnages sont excellents dans leurs rôles respectifs, mais ils ne servent jamais, dans la conception-même du compositeur, que de faire-valoir à la cantatrice, la femme qui passe à travers les âges sans voir le succès se démentir.
Autour d’elle également un orchestre fabuleux comme toujours dans une fosse d’opéra, les Wiener Philarmoniker sonnent avec des couleurs inégalables sous une baguette inspirée, celle d’Esa-Pekka Salonen, qui confirme à chaque apparition qu’il est l’un des plus beaux chefs du moment.
18 septembre 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.